Un cri

* Me voilà, me voilà...

Pour te faire hurler, pour te faire hurler...


Amberlë avait préparé toute sa magie, elle allait prendre l'apparence du vicomte, taché de sang, comme s'il était mourant, espérant obtenir le résultat escompté.

Prenant donc cette apparence, elle avait prit le soin de faire à ce corps factice une plaie béante au torse, transpercé par une lame. Les mains couvertes d'hémoglobine, le sang ruissellant sur tout le corps, et avec une expression d'avant-mort, ça devrait faire mouche!

Elle entra sans faire de bruit, personne dans l'antichambre. Elle entra alors dans l'autre pièce, là, Félizia était assise devant la fenêtre. Elle avança à pas feutrés jusque derrière la cousine Delacroix, puis posa une main sanglante sur son épaule *

Félizia...

* elle imita une voix etouffée et cassée *

Je ne... peux pas enlever le sang...

* Félizia était assise dans un siège tourné vers la fenêtre d'où elle avait une vue imprenable sur la cité. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi le Vicomte avait tenu à ce qu'elle reste dans ses appartements. Que pouvait-il bien arriver parmi cette foule ?

La jeune femme se laissa choir dans le fauteuil, attendant patiemment que les minutes s'écoulent. Elle ne prit pas la peine de se redresser quand elle entendit la porte s'ouvrir, ce devait être un valet qui passait par là.

Soudain, une main se posa sur son épaule et la fit sursauter. Elle se retourna et vit avec horreur son cousin tâché de sang. Sa propre robe en était même imprégnée tant le liquide se répandait dans des quantités affolantes. L'expression de ses yeux changea soudain. Non, non, ce n'était pas possible... Ils devaient quitter le royaume demain... Pourquoi ? POURQUOI ???

Un cri strident s'échappa de la bouche de Félizia sans qu'elle n'ait pu le retenir, un cri douloureux dans lequel on perçevait effroi, tristesse et crédulité.

Ce n'est hélas tout ce que la belle put prononcer devant son aimé agonisant. L'horreur de la scène venait de lui subtiliser la voix tandis que des larmes commençaient à ruisseler sur son visage diaphane... *

* Poursuivant sa tromperie, Amberlë avança, vascillant jusqu'à Félizia, et pour un meilleur effet et plus de peur, elle rendit ses bras vers la femme terrorisée.


La coinçant entre deux murs, elle l'attrapa aux bras, la serrant le plus fort possible*

Félizia!

* Félizia, affolée, reculait au fur et à mesure que le Vicomte s'avançait. Sa vue troublée par les larmes ne lui permettait de voir qu'une vague forme se rapprochant devant elle en laissant une longue traînée de sang sur le sol.

Ca n'est pas possible, Je... je rêve... Ce cauchemar va se terminer... Victor ne peut pas...

Les mains du Vicomte attrapèrent les bras de Félizia et achevèrent de la terroriser. Pourquoi la serrait-il si fort ? *

Victor ...

* Ne les laisserait-on jamais en paix... ? Qu'avaient-ils donc fait pour mériter cela sinon s'aimer ? Etait-ce là un crime qui méritait telle punition ?

Désespérée, Félizia fut prise de sanglots qui ne semblaient pas vouloir s'arrêter *

Pourquoi ?

* Quel Silence martyrisant, alors que quelques minutes plus tôt Félizia avait hurlé.

Seul les bruits de pas que faisaient Delacroix animaient les corridors, et c'est en courant que le Vicomte allait dans ses appartements, lieu où devait être Félizia.

Il ne sentait même pas son coeur battre tellement son esprit était ailleurs, là où était Félizia : il fallait se persuader qu'elle allait bien, après tout, il sait comment sont les femmes! Elles crient pour un insecte...

Et dieux qu'il pria que ce fut cela et non autre chose.

Il poussa violement la porte de l'antichambre, puis défonça presque la seconde;

Félizia, où-es-tu?


Il alla d'instinc vers la grande fenêtre près du lit : il eut presque un malaise en apercevant la silhouette noir tachée d'ecarlate dans le coin de la pièce. Cela ne se peut!

Il entendait Félizia sangloter, il ne pu la voir car elle était cachée par la grande ombre de la personne qui se tenait en face d'elle et qui l'empoignait aux bras.

Alors qu'il se mit à imaginer les pires choses, il saisit son épée, la brandit droit devant lui et fonça sur l'assaillant, lui transperçant le torse de sa lame noire: la pointe s'arrêta juste devant la belle cousine qui pleurait.

Les trainées rouges sur le sol s'effaçèrent, et la personne tomba au sol, cette fois baignée dans du vrai sang, le sien : elle avait de nouveau son vrai visage, et Victor le connaissait : Amberlë Eretrin, la dirigeante de Bethel.

Que venait-elle faire là? Tout devenait clair.


Delacroix posa sa main sur le visage de sa cousine, puis le souleva pour la voir dans les yeux *

Félizia, tout va bien? Tu n'as rien?

* Tout s'était passé si vite sous les yeux de Félizia. Cette ombre qui avait pris le visage de Victor et son cousin qui était arrivé et l'avait tué.

Tout ce sang, pourquoi ?

La silhouette chétive de la jeune femme était toujours recroquevillée contre le mur, incapable de faire un moindre mouvement en direction de l'être aimé.

Et pourtant, c'était avec un profond soulagement que Félizia s'était rendue compte du leurre qui lui avait été tendu... Mais ce ne fut qu'une demi-joie... Il y avait une raison à tout cela, elle le savait bien. Une raison qu'elle ne voulait pas découvrir...

La main de Victor se posa sur son visage et la rappela à la réalité : Victor était vivant, c'était là le plus important pour elle. *

Vic...tor ? * appella-t-elle comme pour s'assurer qu'il n'y avait plus de tromperie *

* Puis, sans un mot, elle s'approcha de lui et l'enlaça de ses maigres forces tandis que des larmes ruisselaient sur son visage diaphane. Il était en vie, rien d'autre n'avait d'importance. *

Partons vite... Je t'en prie...

* Akordia, Dekar, et tous les autres avaient raison... C'était une conspiration.
Delacroix était tombé dans un nid de vipères... Et bien qu'il s'en douta, il n'avait pas imaginer cela de la sorte.


Pourquoi s'en prendre à Félizia?... Parce que c'est son point faible? Sa tendre cousine...

Il se rendit compte avec effroi que sortir d'Atrium serait plus délicat que prévu.

Et si tout le monde savait réellement?
Ils veulent l'empêcher de s'en aller. Immédiatement, Victor prit la décision d'executer ce qu'il avait prévu depuis le départ, si quoi que ce soit entravait son chemin et celui de Félizia.

Il me suffit juste de tous les tuer... Je plongerais cette cité dans le silence moi-même.

*

Laisse-moi règler une dernière chose Félizia... Je reviens dans quelques instants, moi je t'en prie, je dois le faire...

* Maintenant qu'ils ont sans doute ce qu'il voulaient de ma cousine, ils la laisseront en paix... *

Reste dans l'antichambre, ne bouge pas de là, je te promets que tout sera bientôt terminé...


* Il passa lentement ses doigts entre les cheveux blonds de Félizia, avant de l'embrasser délicatement sur la joue... Il en profita pour glisser dans la main de l'appeurée un poignard pour sa défense, dans le pire des cas. Là, il lui adressa un discret sourire, rien que pour elle, puis il quitta la chambre en direction de la place, bien décidé de mener à bien son dessein *

* Cela faisait déjà plusieurs minutes que Félizia n'avait pas bougé. Elle était restée dans le coin de la chambre, ses frêles mains enserraient le poignard que lui avait donné le Vicomte sans pour autant qu'elle put s'en servir.

Allait-elle rester là comme une sombre idiote à attendre que le Vicomte se fasse tuer dehors par cette foule en délire ? Oui, parce qu'il y avait bien conspiration, il eut fallu être sot pour le nier...

Ayant pris sa décision, Félizia se redressa avant de vaciller jusqu'à la porte des appartements de son cousin. Elle l'ouvrit en silence, puis, ayant retrouvé son équilibre, elle se lança dans une course folle, en direction du combat.

Elle irait aider son cousin de ses mains gauches et inutiles ! Tant pis si ça ne servait à rien, elle le devait. C'était une question d'honneur, de principe et rien ni personne ne pourrait se mettre en travers de sa volonté, pas même le Vicomte ! *