* Félizia dévala les escaliers sans se soucier d'une éventuelle chute dangereuse pour l'enfant qu'elle portait. Plus rien n'importait sauf le Vicomte. Elle déboula dans la cour et le vit gisant, face contre terre.
Elle se jeta à genoux devant le corps de son aimé et son premier reflexe fut de retirer le pieux en argent de son dos. Elle glissa l'arme létale dans sa ceinture puis retourna son cousin.
Victor... Ouvre les yeux, mon amour... Nous sommes plus forts qu'eux... Nous surmonterons cela, alors, par pitié, regarde moi...
Dis-moi que tout va bien... Dis-moi que je rêve...
Les mains de la belle parcouraient le corps inerte du Vicomte, essayant vainement de le réanimer par des caresses inutiles. Les yeux grands ouverts, Félizia était pétrifiée d'horreur... Son Victor gisait là, comme dans tous ses cauchemars...
Elle ne pensa même pas à se protéger d'une éventuelle attaque des survivants d'Atrium. Après tout, ils avaient peut-être dans leur plan de l'éliminer elle aussi...
Plus rien n'avait d'importance à cet instant. Félizia ferma les yeux, laissant glisser sur son visage ces larmes qu'elle avait vainement tenté de retenir... Ce ne pouvait pas être réel, était-elle encore pris dans le piège d'une illusion ? Elle rouvrit les yeux mais le corps du Vicomte était toujours étendu sur le sol. Elle comprit alors ce qu'elle avait perdu, celui qui n'était plus de ce monde à présent, errant dans les limbes de la Mort... sans elle...
Instinctivement, elle allongea sa tête sur le torse du Vicomte tandis que son corps se contractait au rythme de ses sanglots désespérés. Lorsque ses lèvres s'entrouvrirent enfin pour émettre un son, ce fut une litanie dans sa langue maternelle *
Tu ne peux pas mourir, Victor... Tu n'en as pas le droit... As-tu donc oublié notre promesse ? Je t'en prie, mon amour, reviens... reviens vers moi...
Ne m'abandonne pas dans un monde où l'espoir n'existe plus... Ne me laisse pas... Je ne peux pas mettre au monde ta descendance si tu n'es pas à mes côtés, Victor... Je ne veux pas vivre si tu n'es plus là...
Ne me laisse pas, NE ME LAISSE PAS !
* Les sanglots de Félizia étaient entrecoupés de gémissements... On aurait bien plus lui arracher le coeur qu'elle n'en aurait pas autant souffert...
Rien n'aurait su empêcher un tel désespoir comme si la cousine du Vicomte était devenue la personnification même de la douleur, de la détresse et du chagrin. Qu'avait-elle fait pour mériter un tel châtiment des dieux ? *
Laissez-le moi... Par pitié... N'ai-je donc pas été pieuse et bonne ces huit mille dernières années ?
Dites-moi quel est mon crime, Ô puissantes divinités, dites-moi quel est-il cet affront qui mérite telle punition... ?
* Soudain, alors que plus rien ne laissait présager une telle chose, le coeur du Vicomte se mit à battre faiblement. Comme s'il voulait vivre, revenir dans ce monde qu'il avait tant dédaigné ces dernières années... Oui... Il devait vivre... Pour prendre sa revanche sur le passé...
Félizia fut la seule à percevoir ce battement désespéré car son visage était posé contre le coeur de son aimé. A cet instant, l'espoir s'insinua à nouveau en elle, l'espérance qui lui manquait pour continuer était revenue... Victor était en vie ! Il respirait !
Elle se pencha sur son oreille et murmura, toujours dans la même langue *
Prête-moi ta force, Victor... Je vais t'insuffler la vie à nouveau... Ne perds pas espoir, tout n'est pas fini...
Cette fois, c'est à moi de te sauver...
* Elle resta encore de longues minutes allongée sur le corps blessé puis fit mine de lui dire adieu pour que le nouveau Roi, qui sans doute observait du haut de la fenêtre, ne se doute de rien. Puis elle se releva, la mine affreuse. Désormais, elle devrait jouer à la perfection le rôle de la veuve éplorée, ce qui n'était pas bien difficile pour elle. Elle regorgeait de tant de tristesse que nul n'aurait pu se douter de quelque chose. Mais il fallait faire vite, sinon ce ne serait plus une comédie mais une réalité. *